
Les cafés sont l’âme d’une ville. Sans eux, elle étoufferait, manquant d’espaces rêveurs. Sous les palmes des ventilateurs, entre les fumeurs de narguilé et les vieillards qui abattent les cartes, Noam prête l’oreille à ce qui se dit. En quelques séances, il a distingué l’oisif qui consacre son temps à le perdre, l’ergoteur universel pour qui penser signifie pester, le pseudo-intellectuel dont la satisfaction consiste à répéter les théories à la mode, le véritable intellectuel à la conscience inquiète et tourmentée. Les informations pleuvent, racontant l’appauvrissement des ressources, les désastres suscités par l’industrie, la hausse irréversible des températures.
– Vous pouvez refuser de nous écouter, concède l’intellectuel au comptoir, mais vous ne pouvez refuser la science. Elle nous apprend que la nature va imploser.
Noam, qui redécouvre le délice de paresser, de manger, de boire, se reproche son hédonisme.
D’ici peu, ce monde n’existera plus. J’en suis l’un des derniers contemplateurs.
Puis sa pensée perçoit le gouffre.
D’ici peu, le monde n’existera plus.
Chaque seconde devient inconfortable. Au cœur du bonheur, il reçoit un coup de poignard : bientôt, on suera, on suffoquera, on crèvera de famine ou de soif.
Plus jamais…
Le présent se teinte de nostalgie.
Dans ces moments-là, l’idée revient, l’idée qui a illuminé sa nuit. Elle n’apporte pas une solution, elle lui propose une action. S’il la réalisait, il combattrait le vide…
Éric-Emmanuel Schmitt (1960) est un écrivain et réalisateur français naturalisé belge. Ses œuvres sont très inspirantes.
Eric-Emmanuel Schmitt dans La Traversée du temps – Paradis perdus – tome 1
Une pièce musicale de Nieznany et Marco Rinaldo – Morning Café Jazz
