Ce qu’est le vrai enseignement (3)

Pour aider l’enfant, on doit lui consacrer le temps qu’il faut pour l’étudier et l’observer. Et cela demande de la patience, de l’amour, de la constance. Mais lorsque l’on n’a ni amour ni compréhension, on contraint l’enfant à se fixer dans une certaine façon d’agir, que nous appelons idéal. Un idéal est donc une évasion commode: l’éducateur qui a un idéal est incapable de comprendre ses élèves et de les diriger intelligemment, car, pour lui, le futur idéal, « ce qui devrait être », est bien plus important que l’enfant présent. La poursuite d’un idéal exclut l’amour, et sans amour aucun problème humain ne peut être résolu. Le bon éducateur est celui qui ne s’attache pas à une méthode mais qui étudie chaque élève individuellement. Dans nos rapports avec les enfants et les adolescents nous n’avons pas affaire à des mécaniques qui peuvent être rapidement réparées, mais à des êtres vivants impressionnables, versatiles, sensitifs, craintifs, affectueux. Et pour nous en occuper, il nous faut posséder une grande compréhension, la force de la patience et de l’amour. Lorsque celles-ci nous font défaut, nous avons recours à des remèdes faciles et rapides et espérons en obtenir des résultats merveilleux et automatiques. Si nous sommes distraits, mécanisés dans notre comportement et dans nos actions, nous reculons devant tout appel qui nous dérange et auquel nous ne pouvons pas répondre par des automatismes. Et c’est là une de nos plus grandes difficultés en éducation. L’enfant est le résultat à la fois du passé et du présent. Il est donc déjà conditionné. Si nous lui transmettons notre arrière-plan de conditionnement, nous perpétuons en même temps son conditionnement et le nôtre.

Il ne peut y avoir de transformation radicale que lorsque nous comprenons notre conditionnement et en sommes libres. Entreprendre des discussions sur l’éducation cependant que nous sommes conditionnés nous-mêmes est tout à fait futile. Lorsque les enfants sont jeunes, nous devons naturellement les protéger des dangers matériels et éviter qu’ils se sentent physiquement dans un état d’insécurité. Mais, malheureusement, nous ne nous en tenons pas là. Nous voulons modeler leur façon de penser et de sentir, nous voulons les former selon nos aspirations et nos intentions. Nous cherchons à nous accomplir en nos enfants, à nous perpétuer à travers eux. Nous construisons des murs autour d’eux, nous les conditionnons par nos croyances, nos idéologies, nos craintes et nos espoirs. Et ensuite nous pleurons et prions lorsqu’ils sont tués ou mutilés dans des guerres, ou lorsque les expériences de la vie les font souffrir. Ces expériences de la vie, qui feront souffrir nos enfants mal préparés à les recevoir, ne leur apprendront pas la liberté, mais au contraire renforceront leur volonté égocentrique. Le moi est fait d’une série de réactions défensives et expansives et son épanouissement est toujours contenu dans ses propres projections et dans les identifications qui lui sont agréables. Tant que nous traduisons l’expérience en termes égocentriques, en « moi » et « mien », tant que le moi, l’ego, se maintient à travers ses réactions, l’expérience ne peut pas être libre de conflits, de confusion, de douleur.

Jiddu Krishnamurti dans Ce qu’est le vrai enseignement

Une pièce musicale de Erik Satie – Gymnopédies & Gnossiennes

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