Tshissinuatshitakana

Les arbres ont parlé avant les hommes. Tshissinuatshitakana, les bâtons à message, servaient de points de repère à mes grands- parents dans le nutshimit, à l’intérieur des terres. Les Innus laissaient ces messages visuels sur leur chemin pour informer les autres nomades de leur situation. Ils plantaient deux morceaux de bois d’épinette blanche, plus ou moins courts, l’un à l’oblique de l’autre. Un bâton penché très près du sol contre un bâton vertical signifiait la famine, et son orientation désignait, comme une boussole, le territoire où ils se rendaient. Les tshissinuatshi- akana offraient donc des occasions d’entraide et de partage. À travers eux, la parole était toujours en voyage.

Mon peuple est rare, mon peuple est précieux comme un poème sans écriture.

Les aînés se sont tus, nous laissant l’écho de leur murmure… Leurs atanukan nous ont appris à vivre. Mon grand-père a joué du teueikan à l’âge de à quatre-vingt-huit ans, trop jeune, disait-il, pour en jouer. Mon père Pierrish a rêvé de Papakassik u, le Maître du caribou. J’ai rêvé deux fois au tambour.

Nous sommes un peuple de tradition orale. Aujourd’hui, nous connaissons l’écriture. La poésie nous permet de faire revivre la langue du nutshimit, notre terre, et à travers les mots, le son du tambour continue de résonner. Rêve, tu m’emportes dans le monde des visions qui chantent ma vieillesse. Je suis là parce que tu es là. Et je sais que le temps est au récit.

*

Nous sommes rares

nous sommes riches

comme la terre

nous rêvons.

*

Mes sœurs

les quatre vents

caressent une terre

de lichens et de mousses

de rivières et de lacs,

là où les épinettes blanches

ont parlé à mon père.

Joséphine Bacon, née en 1947, est une poétesse innue originaire de Betsiamites. Elle est également réalisatrice de films documentaires, parolière et auteure des textes d’enchaînement du spectacle de Chloé Sainte-Marie : Nitshisseniten e tshissenitamin. Bâtons à message / Tshissinuashitakana de Joséphine Bacon. « Innue, Joséphine Bacon est une poète innée. Celle qui veut bien qu’on l’appelle aussi Bibitte part et parle de cette page primordiale : chaque être – qu’il soit pierre, arbre, oiseau ou humain – est un mot vivant de la langue de la Terre.

Joséphine Bacon dans Bâtons à message – Tshissinuashtakana

Une pièce musicale de Philippe Mckenzie – epamenueten thiuapeteman