Le jardin nu

Tout est plus vivant de devoir mourir. Tel est l’enseignement. Toute vie est dérisoire, et toute vie est en même temps unique, infiniment fragile – la palpitation de la veine – précieuse en raison même de sa fragilité. A l’individualisme qui consacre Narcisse comme centre de son propre univers, je veux substituer l’attention infinie à chaque individu. A chaque humain, à chaque graine qui tente de toutes ses forces de soulever son tombeau de terre brune pour déployer une promesse de fleur.

A ce prix-là, peut-être, nos minuscules et infinies souffrances seront rédimées.

*

Vertu de la présence.

Prenons-nous assez le temps d’être simplement là où nous sommes, posés, disponibles à ce qui advient, dépourvus d’intention comme d’objectif ?

Assise, mains vides et yeux grand ouverts, à l’ombre du cerisier qui fermait le jardin au sud, j’approfondissais sans en avoir conscience les valeurs de la présence nue. Toute course avait été brutalement interrompue, tout but jeté aux orties. Il ne s’agissait même plus, comme au temps du combat contre la maladie, de tenir ni de durer, brûlant toutes les forces disponibles afin de protéger un temps que l’on savait de plus en plus réduit. Il ne s’agissait plus que d’aller d’un jour à l’autre, d’une heure à la suivante sans en attendre grand chose.

Il s’agissait d’être et rien de plus.

Ne rien espérer de l’autre qui est là – thuya, giroflée ou moineau. Ne rien demander. Ne projeter sur lui aucune intention, aucun vouloir, est la façon la plus certaine d’être en mesure de le rencontrer vraiment. De l’accueillir tel qu’il est. On peut appeler ça oraison ou médication, satori ou pleine conscience. On peut aussi ne rien nommer. On peut se contenter d’aller s’asseoir sous l’arbre et de le laisser nous rendre attentive à sa façon de pousser, à sa manière délicate et déterminée de gonfler ses bourgeons, de déplier chacune de ses feuilles. Bientôt viennent les merles puis les cerises qui les régaleront. Un froissement d’ailes parmi les branches, et voici qu’une plume descend et se pose dans l’herbe, plus légère qu’un flocon.

Au-dessus du jardin filent les nuages. On attend d’un jour à l’autre le retour des hirondelles. Non : on n’attend plus rien. Mais un jour elles sont là.

Comme les cerises.

Comme ce tressaillement de joie venu d’on ne sait où, qui vient un matin nous chatouiller le cœur.

Anne Le Maître (1972) est auteure et aquarelliste.

Anne Le Maître dans le Jardin nu

Une pièce musicale de Secret Garden- Song from a Secret Garden