Ce qu’est le vrai enseignement (4)

La liberté ne survient que lorsque l’on comprend le processus du moi, du sujet qui subit l’expérience. Ce n’est que lorsque le moi, avec ses réactions accumulées, n’est plus le sujet qui subit l’expérience, que l’expérience assume une signification entièrement différente et devient création. Si nous voulons aider l’enfant à se libérer des façons d’être du moi, qui causent tant de souffrance, chacun de nous doit commencer par modifier profondément son attitude et ses rapports avec l’enfant. Les parents et les éducateurs, par leur pensée et leur comportement, peuvent aider l’enfant à se libérer et à s’épanouir en amour et en humanité. L’éducation, telle qu’on la pratique actuellement, n’encourage en aucune façon la compréhension des tendances héréditaires et des influences du milieu qui conditionnent le cœur et l’esprit, et entretiennent la peur. Par conséquent elle ne nous aide pas à transpercer ces conditionnements et à faire éclore des êtres humains intégrés. Toute forme d’éducation qui s’applique à une partie de l’homme et non pas à l’homme total, mène inévitablement à de nouveaux conflits et à des souffrances plus grandes. Ce n’est que dans la liberté individuelle que l’amour et l’humain peuvent fleurir ; et seule une éducation basée sur la connaissance de soi peut offrir cette liberté. Ni la parfaite adaptation à la société actuelle, ni la promesse d’une utopie future ne peuvent donner à l’individu la vision intérieure qui lui est nécessaire pour sortir de l’état de conflit. Le bon éducateur, sachant ce qu’est la liberté intérieure, aide chaque élève individuellement à observer et à comprendre les valeurs et les contraintes sociales qu’il projette ; il l’aide à prendre conscience des influences extérieures qui le conditionnent et qui agissent sur lui ; il l’aide à voir que ses propres désirs contribuent à limiter son esprit et à engendrer la peur ; il l’aide, au fur et à mesure de son développement, à s’examiner et à se percevoir dans ses rapports avec toute chose ; car c’est l’aspiration à une réalisation personnelle qui suscite les conflits et les souffrances. Et, il est certes possible d’aider l’individu à percevoir, sans conditionnement, les valeurs durables de la vie. Certains pourront objecter que ce complet développement de l’individu conduirait au chaos ; mais est-ce vrai? Le monde est déjà dans un état de confusion, et cela s’est produit parce que l’individu n’a pas appris à se comprendre lui-même. Tandis qu’on lui a accordé certaines libertés superficielles, on lui a enseigné à se conformer, à accepter des valeurs consacrées. Contre cet enrégimentement, beaucoup de personnes se révoltent ; mais, malheureusement, leur révolte n’est qu’une réaction qui se conditionne elle-même et ne fait qu’obscurcir l’existence.

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Le bon éducateur, sachant que l’esprit a une tendance à réagir, aide les jeunes à modifier les valeurs établies, non pas en réagissant, mais en apprenant à être conscients du processus total de la vie.

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Les récompenses et les punitions, sous n’importe quelle forme, ne font qu’asservir et alourdir l’esprit, et si c’est cela que nous voulons, l’éducation par la contrainte est un procédé excellent. Mais une telle éducation ne nous aide pas plus à comprendre l’enfant qu’elle ne peut construire un milieu où le sens de séparation et la haine ont cessé d’exister. L’amour que l’on a pour l’enfant contient à lui seul en puissance toute l’éducation. Mais la plupart d’entre nous n’aiment pas leurs enfants ; ils ont de l’ambition pour eux, ce qui revient à dire qu’ils en ont pour eux-mêmes, personnellement. Malheureusement, nous nous donnons tant à faire avec les occupations de l’esprit que nous avons peu de temps pour les élans du cœur. Après tout, discipline veut dire résistance, et la résistance peut-elle jamais engendrer l’amour? La discipline ne peut que construire des murs autour de nous ; elle n’engendre pas l’entendement ; car la compréhension est le fruit de l’observation, de la recherche, lorsque tous les préjugés ont été mis de côté. La discipline est un moyen facile d’avoir l’enfant en main, mais elle ne l’aide pas à comprendre les problèmes que pose la vie. Une certaine forme de contrainte, une discipline comportant des punitions et des récompenses peuvent être nécessaires pour maintenir l’ordre et une tranquillité apparente, lorsqu’un grand nombre d’élèves se trouvent entassés dans une classe ; mais un bon éducateur, n’ayant à s’occuper que d’un petit nombre d’élèves, aurait-il besoin d’un régime d’oppression, poliment intitulé discipline? Si les classes sont peu nombreuses et que le maître peut accorder toute son attention à chaque enfant, l’observer et l’aider, la contrainte ou la domination ne sont évidemment nécessaires sous aucune forme. Si, dans un tel groupe, un élève persiste à créer du désordre, et est déraisonnablement chahuteur, l’éducateur doit s’enquérir de la cause de sa mauvaise conduite, qui peut être un mauvais régime alimentaire, un manque de repos, des conflits familiaux ou quelque peur secrète. Implicite dans l’éducation dont je parle, est la culture de la liberté et de l’intelligence, qui est impossible sous quelque forme de contrainte qu’accompagne la peur. Après tout, le rôle de l’éducateur est d’aider l’élève à comprendre les complexités de son être entier. Exiger de lui qu’il refoule une partie de sa nature au bénéfice d’une autre, c’est créer en lui un interminable conflit, lequel aboutit à des conflits sociaux. C’est l’intelligence qui engendre l’ordre, non la discipline.

Jiddu Krishnamurti dans Ce qu’est le vrai enseignement

Une pièce musicale de Max Richter – On The Nature Of Daylight