Abandon

Le geste d’abandonner (pouvoirs, savoirs, actions, identités, lieux…) est présent dans toute l’histoire de la spiritualité. La thématique de l’abandon spirituel renvoie au vaste courant de la « voie négative » qui consiste à approcher Dieu en le dépouillant de toutes les qualifications, forcément inadéquates, et qui traverse la pensée occidentale, depuis la théologie néoplatonicienne du pseudo-Denys l’Aréopagyte jusqu’à la psychanalyse lacanienne, en passant par les poèmes de Jean de la Croix. Cette voie prend une valeur centrale notamment chez le mystique rhénan Maître Eckhart (1260-1328), sous le terme allemand Gelassenheit. Le substantif Gelassenheit est formé à partir du verbe lâzen qui signifie « laisser ». Il peut être traduit littéralement par « délaissement », ou plus classiquement par « détachement », « abandon ».

Dans ses sermons, Maître Eckhart invite sans cesse à un « laisser » radical, déjà tourné vers les choses extérieures, puis retourné vers l’intérieur du moi (qui peut aller jusqu’à l’abandon de l’idée même de Dieu !) : « L’homme qui s’est laissé lui-même, ainsi que toutes choses, un tel homme est totalement mort au monde et vit en Dieu et Dieu en lui. » Un texte très poétique de Heidegger, issu d’une conférence donnée en 1955, dans sa ville natale de Messkiran, est intitulé « Gellassenheit » en référence directe à la pensée eckhartienne. Il est traduit en français par le terme « Sérénité », qui montre bien que ce délaissement de l’être entier n’est pas ressenti comme une ascèse difficile et pénible, qui se ferait dans la violence vis-à-vis de soi-même ou des choses, mais comme une halte agréable dans une « clairière » (Lichtung dans le lexique heideggérien), qui ouvre l’être à une sorte d’éclaircie spacieuse, pleine de fraîcheur et de légèreté enfin retrouvées. C’est la fameuse distinction que fait le philosophe allemand entre ce qu’il appelle la pensée méditante, qui sait s’arrêter et rentrer en elle-même pour mûrir patiemment, et la pensée calculante, qui ne cesse jamais de s’affairer et de courir en avant jusqu’à l’épuisement. À rebours de la recherche permanente de contrôle et de maîtrise propre à notre hypermodernité, la méditation nous offre une chance inestimable : celle de faire l’expérience intime d’un lieu spirituel où il devient enfin possible de « laisser être l’être », pour reprendre l’expression du philosophe contemporain Henri Maldiney. Ou pour le dire plus simplement avec la chanson des Beatles : Let it be !

Philippe Filliot dans Les 50 mots essentiels de la spiritualité

Une pièce musicale avec Paul McCartney, Eric Clapton, Bono and others – Let It Be

Les paroles en français sur https://www.lacoccinelle.net/242857-the-beatles-let-it-be.html

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