Leçons de bonheur

Il y a tant de choses que je n’ai pas, tant de choses que je ne sais pas ; mais depuis que j’ai perdu mes vieilles certitudes et appris à me laisser plier par les règles des écoles antiques, j’ai retrouvé un plaisir perdu depuis longtemps. Celui d’apprendre, d’essayer, de retourner mes pensées comme un gant, de découvrir que je me trompais et que cette découverte me donnait l’occasion de faire un peu mieux. J’ai perdu beaucoup, y compris les choses que je croyais dominer, posséder, connaître : mais cela, au moins, me permet de continuer à chercher, demander, étudier, scruter la vie sous toutes ses coutures. Je vis en cherchant quelque chose, mais quoi, je l’ignore ; peut-être seulement le bonheur de continuer à chercher. Je pense aux mots de Socrate : une vie sans examen ne mérite pas d’être vécue.

Je marche avec Chien dans les rues du quartier, je n’ai rien à moi, je suis heureuse. J’ai peut-être un peu appris à vivre grâce aux philosophes anciens ; et c’est peut-être cela, au bout du compte, qu’il vaudrait la peine de raconter.

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Écrire est un métier qui offre peu en retour, réclame de grandes peines et une immense solitude. Il oblige à se confronter sans cesse à ses limites, fait naître des frustrations démesurées : ce qui semble dans l’esprit limpide et beau ne ressemble jamais, dans la réalité, à l’image si exaltante de perfection avec laquelle on s’était mis au travail. Et la déception est cuisante. Pourquoi le faire, alors ? En ce qui me concerne, j’ai commencé à écrire parce que je voulais essayer, si tant est que ce fût possible, d’accepter ce que je ne pouvais pas changer ; la vie qui me terrifie me semble plus tolérable, une fois écrite. Je voulais essayer de raconter des choses singulières, des histoires impalpables à l’image de mes stupides fantaisies, afin que d’autres puissent les lire – et peut-être qu’ainsi, elles auraient perdu les stigmates de la solitude pour devenir simplement humaines. Je voulais qu’elles apaisent la douleur, ne serait-ce qu’un peu ; qu’elles aident à chasser les soucis, qu’elles aident à se sentir moins seuls après un chagrin d’amour. Qu’elles viennent en aide au lecteur (inconnu et invisible), en lui permettant de passer quelques heures agréables, de se rappeler certaines choses et d’en oublier d’autres. Je voulais me perdre, m’annuler dans les mots, quand j’ai commencé à écrire. Je n’y suis pas parvenue ; pas une seule page, parmi les centaines qui se trouvaient dans mon ordinateur inondé, ne m’a permis d’accomplir cette mission. A ce compte-là, autant tout jeter et recommencer du début. Sans regrets, sans les subsides de l’avance sur droits. Tant pis. Parce que vivre, comme disait Diogène, n’est pas un mal : le mal, c’est de vivre mal.

Ilaria Gaspari (1986- ) est docteure en philosophie de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne,

Ilaria Gaspari dans Leçons de bonheur

Une pièce musicale de Paolo Conte – It’s wonderful – Via con me

Les paroles sur https://www.lacoccinelle.net/246493-paolo-conte-via-con-me.html

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