Relier corps esprit

La source ultime de ces transformations incessantes qui font le flux de vie est nommée par les taoïstes, Dào 道, la Voie. C’est là une appellation par défaut. Cette limitation est imputable au fonctionnement de l’esprit conceptuel qui est contraint d’isoler son objet pour le nommer. Il se révèle donc impuissant à opérer de la sorte avec un au-delà de l’être et du non-être… Le nom a pour seule fonction de nous laisser pressentir cet au-delà. Dès le chapitre1, le Dao De Jing nous avertit :

 » La voie qu’on peut énoncer

N’est déjà plus la Voie

Et les noms qu’on peut nommer

Ne sont déjà plus le Nom »

Tout en ayant à l’esprit cette mise en garde, écoutons ce que Claude Larre et Elisabeth Rochat de la Vallée nous disent du caractère choisi pour évoquer la Voie, Dào 道 :

« Dao est une tête à la chevelure dénouée, comme l’est celle d’un magicien, associée à trois empreintes de pas évoquant une marche dansante. C’est le ‘pas’ d’un magicien. »

Le magicien, le chamane, commercent avec les forces de vie. Situés à la frontière du visible et de l’invisible, ils sont au cœur des transformations et ont pouvoir de faire apparaître ou disparaître les formes. Le chamane-Dào est en mouvement : celui d’une marche dansante. « Traditionnellement, le pied gauche se lève le premier, puis le pied droit est ramené sur le pied gauche ; puis le pas recommence. » Le pied gauche est associé au yáng, le pied droit au yīn. La marche du chamane initie le mouvement de la vie qui est l’alternance créatrice du yīn et du yáng. C’est à travers ce mouvement d’alternance que Dào se manifeste et nous apparaît. Il est insaisissable. Nous pouvons seulement en sentir la présence, nous glisser dans son flux.

*

Le vide, est une puissance de transformation, présence insaisissable au cœur du manifesté. La pensée chinoise nous incite à ne pas arrêter notre regard au niveau le plus visible mais à devenir l’ami du caché d’où procède le visible. Ne nous laissons pas fasciner par l’apparence des choses, apprenons à ressentir la présence du vide, wú 無, au sein de toute chose. Au sein d’une roue de char, d’un vase, de la pièce d’une maison… :

« Trente rayons se joignent en un moyeu unique

Ce vide (wú 無) dans le char en permet l’usage

D’une motte de glaise on façonne un vase

Ce vide dans le vase en permet l’usage

On ménage des portes et des fenêtres pour une pièce.

Ce vide dans la pièce en permet l’usage.

Le vide est présent en toute chose. En l’homme aussi qui, au profond, à l’intime, a la capacité de le ressentir. Parce qu’il est situé entre Ciel et Terre, qu’il est né de leurs souffles, « l’Homme, par son esprit, est capable d’acquérir les vertus de la Terre et du Ciel, de communier par le truchement du Vide médian avec le Vide suprême. »

Martine Larbat dans Relier corps esprit Taoïsme et philosophies indo-tibétaine

Une pièce musicale de Eric Aron – Jati (Himalaya)

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