
Le marathonien ne connaît qu’un seul adversaire qui soit à sa mesure et qui, un jour, sera hors de portée : lui-même.
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Il faut aller léger, se déshabiller de beaucoup d’acquis, pour être capable de tracer un si long chemin.
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On a pu constater, chez les pèlerins en particulier, que lorsque la moyenne de trente kilomètres par jour est atteinte, l’entraînement physique neutralise la perception du corps. Dans presque toutes religions, la tradition du pèlerinage a pour objet essentiel, à travers le travail de l’être physique, d’élever l’âme : les pieds sur le sol, mais la tête près de Dieu. D’où l’aspect intellectuel de la marche que les béotiens ne soupçonnent pas. Ceux qui n’ont pas vécu pareille aventure pensent le plus souvent que la marche est souffrance. Elle peut l’être pour ceux qui, par masochisme ou religiosité, s’infligent des tortures, marchent à genoux ou nu-pieds sur les cailloux. Mais dans la limite de trente kilomètres par jour, la marche est une jouissance, une douce drogue.
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Le plus vieux mode de déplacement du monde est aussi celui qui permet le contact. Le seul, à vrai dire. Assez de voir des civilisations en boîte et de la culture sous serre. Mon musée à moi, ce sont les chemins, les hommes qui les empruntent, les places de village, et une soupe, attablé avec des inconnus.
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Seule la route importe, et ceux qui ont pratiqué la marche – ou rêvé la marche – savent que la route n’est pas une réalité objective, extérieure à celui qui va, mais la matérialisation du regard intime, secret si l’on veut, que celui qui va porte sur le monde – et sur soi.
Bernard Ollivier dans Longue marche, tome 1 : Traverser l’Anatolie
Une pièce musicale de Raphaela Gromes – Hildegard von Bingen – O Virtus Sapientiae
