
Le silence est l’origine et la finalité de toute parole. Il n’est pas seulement l’absence de vacarme, c’est le son que produit la matière lorsqu’on la laisse au repos, lorsqu’on ne l’use pas, lorsqu’on ne la consomme pas. On tend l’oreille et, soudain, une autre dimension se dresse devant nous. Voici pourquoi on associe souvent le silence à la nuit, parce qu’elle lui offre toute son amplitude. Le jour dissout les ombres et leur épaisseur ouatée. « Le silence n’est pas le contraire du bruit. Le silence est l’essence même de l’énergie », écrit Krishnamurti.
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Pourquoi instaurons-nous une division entre l’extérieur et l’intérieur ? Est-ce parce que nous n’arrivons pas à contrôler l’extérieur que nous espérons contrôler et changer l’intérieur ? Cela fait-il partie de notre fuite en avant intellectuelle, en vue d’échapper à ce que nous sommes véritablement ? Nous ne voyons pas que nous sommes le résultat du passé. Faute de mourir au passé en nous-mêmes, nous suivrons inévitablement la voie de la tradition qui a créé l’extérieur et l’intérieur. L’extérieur et l’intérieur sont étroitement imbriqués et se déterminent l’un l’autre. Tous deux sont modifiés lorsqu’on renie le passé. En reniant le passé dans notre cœur, nous le renions aussi dans nos actions, qui sont l’extérieur.
Que faut-il donc que vous et moi fassions afin de ne pas dégénérer sous forme d’êtres humains désespérés et torturés ? Existe-t-il quelque chose de positif que nous puissions vraiment faire ? Si vous faites quoi que ce soit de positif, cela ira dans la droite ligne de la tradition. Mais si vous reniez la tradition, alors vous avez déjà fait le pas le plus radical et un changement a déjà eu lieu.
La dégénérescence survient quand les habitudes passées – autrement dit la tradition, et votre singularité spécifique, elle aussi issue du passé – se perpétuent. Partout où il existe une continuité qui fait que l’on se plie à un mode de vie conceptuel – que ce mode de vie soit traditionnel, conforme aux dogmes, ou bien particulier, projeté par votre propre désir, vos inclinations et vos espoirs –, l’issue est un déclin et une existence dénuée de sens. Inventer une vie qui ait un sens, si noble ou intelligente cette vie soit-elle, revient à s’aligner sur un sens dicté par quelqu’un d’autre. La dégénérescence, nous la voyons donc et nous en comprenons toute la structure. Cette vision est une compréhension et non une démarche intellectuelle. C’est une énergie qui n’agit pas à l’encontre d’elle-même. Soyez conscients de tout ceci au cœur de l’action, au cœur de la vie et au cœur de toutes les relations.
Marie Robert (1985- ) enseigne la philosophie et le français aussi bien à l’université qu’au lycée. Études à l’université Paris-Descartes : Licence, Maîtrise, Master spécialité logique, philosophie, histoire, sociologie des sciences. Son intérêt porte particulièrement sur la philosophie du langage et sur les conditions de la fiction.
Marie Robert dans Un esprit calme et silencieux – Vivre, apprendre et méditer
Une pièce musicale de Arvo Pärt : Silentium
