Ou bien quoi?

Vivre, aimer, s’étendre partout, sentir partout, voir partout, sentir partout, voir partout, autant qu’on veut, autant qu’on aime, sans séparation, sans distance; chanter, sourire partout, dans tout ce qui est, dans tout ce qui vit, tout ce qui bas; mourir, renaître quand on veut, garder le fil indestructiblement, et remplir chaque instant d’une totalité d’existence, aussi pleine que les millénaires réunis! J’attends, oh! j’attends l’heure de vérité où nos millions d’amours dissous, brûlés, roulés dans le fleuve, pourront aimer encore, toujours, nos millions de gestes toucher la gloire vivante qu’ils modelaient dans la nuit, nos vies bafouées connaître la joie qu’elles forgeaient sans savoir, nos souffles perdus chanter le grand péan du monde divin – et nous toucherons le ciel de nos mains, nous bâtirons la terre à l’image de notre âme et nous incarnerons la lumière dans un corps. Oh! j’attends, j’attends l’heure de l’Autre Chose, j’attends un autre être sur la terre.

*

Son corps dansait dans la flamme, bleuté de cendres et de lune ; il avait l’air d’un dieu védique derrière son rideau de feu. Les grenouilles se sont remises à coasser dans la citerne. Un chien a hurlé à la lune. Et tout était si fragile, et tout était éternel.

J’ai fermé les yeux, moi aussi, je pouvais sourire on ferme la porte d’en bas, on prend la clef des champs de lumière… Et ce soir-là, je me suis trouvé en face de la grande Contradiction.

Oui, un jour, les corps s’ouvrent comme des fleurs. Un jour, sous la pression d’un feu dedans, la coquille d’ombre éclate, le grand oiseau prisonnier ouvre ses ailes de victoire, et l’on va — infiniment, merveilleusement — par des plaines douces et lumineuses, par des constellations en dérive, au-dessus des corps, au-dessus de l’envoûtement bleu du mental. On va dans une douceur de nacre, on glisse par des années-lumière ; on a posé son front sur de grandes neiges de silence, quitté la tombe, le simulacre, on est rendu chez soi. Oh ! le souffle profond des étendues de lumière. Et c’est tout pur, tout simple : c’est ça et on respire ; c’est ça et on coule sans borne, on se défripe, on va à l’infini de soi ; c’est la paix d’être enfin ce que l’on est, la grande fraîcheur calme d’être en soi — l’éternité, l’éternité comme une seconde ! La transparence partout comme un million de lotus blancs sous un invisible Soleil.

Et loin, loin au-dessous, un point d’être. Un feu. Un tout petit feu qui brûle, qui aurait tant voulu se fondre, lui aussi, dans cette immensité de lumière. Une brûlure d’être, un cri d’appel — plein d’une gratitude infinie parce que ça existe, cette source fraîche, cette merveille impensable; pleine d’une soif infinie parce que ça ne pouvait pas être ici aussi, dans un corps. Oh! une vérité qui n’est pas tout ne peut pas être toute la vérité!  

Ou bien quoi?

Satprem dans Par le corps de la Terre ou le Sannyasin

Une pièce musicale de Akasha Experience – Om Purnamadah