L’expérience du réel

Nous voulons vivre l’expérience du réel – c’est ce que nous voulons tous, n’est-ce pas ? – mais vivre le réel c’est le connaître et dès que nous le reconnaissons, nous l’avons déjà projeté et il n’est plus réel parce qu’il est dans le champ de la pensée et du temps. Ce que l’on peut penser au sujet de la réalité n’est pas le réel. Nous ne pouvons pas « reconnaître » une expérience neuve : c’est impossible. On ne reconnaît que ce que l’on connaît déjà, donc lorsque nous déclarons avoir eu une expérience nouvelle, elle n’est pas du tout neuve. Chercher des expériences nouvelles au moyen d’une expansion de la conscience, ainsi qu’on le fait avec des drogues psychédéliques, c’est encore demeurer dans le champ limité de la conscience.

Nous découvrons maintenant une vérité fondamentale, qui est qu’un esprit à la recherche des expériences vastes et profondes auxquelles il aspire est très creux et obtus, car il ne vit qu’avec des souvenirs.

Si nous n’avions pas d’expériences, que nous arriveraient-ils ? Nous avons besoin de leurs provocations pour nous tenir éveillés. S’il n’y avait en nous ni conflits, ni perturbations, ni changements, nous se-rions tous profondément endormis. Donc ces rappels sont nécessaires pour presque tout le monde. Nous pensons que sans eux nos esprits deviendraient stupides et lourds, par conséquent nous avons besoin de provocations et d’expériences pour nous faire vivre plus intensément et pour aiguiser nos esprits. Mais en vérité, cet état de dépendance ne fait qu’émousser nos esprits. Il ne nous tient pas du tout éveillés.

Je me demande donc s’il me serait possible d’être éveillé totalement, non en quelques points périphériques de mon être, mais totalement éveillé, sans provocations ou expériences. Cela exigerait une grande sensibilité, à la fois physique et psychologique. Cela voudrait dire qu’il me faudrait être affranchi de toute aspiration, car je provoquerais l’expérience dès l’instant que je l’appellerais. Pour être débarrassé de mes exigences intérieures, de mes désirs et de mes satisfactions, il me faudrait reprendre une investigation en moi-même et comprendre toute la nature de mon désir.

Toute demande intérieure provient d’une dualité : « Je suis malheureux, je voudrais être heureux. » En cette aspiration : « Je veux être heureux » est un état malheureux, de même que lorsqu’on fait un effort vers le bien, en cette vertu est le mal. Toute affirmation contient son opposé, et tout effort renforce ce que l’on veut surmonter. Lorsque vous désirez l’expérience du vrai ou du réel, cette demande émane de votre manque de satisfaction au sujet de ce qui « est », et crée, par conséquent, son contraire. Et dans ce contraire se trouve ce qui « a été ». Nous devons nous libérer de ces incessantes demandes, autrement il n’y aurait pas de fin au couloir de la dualité. Cela veut dire se connaître soi-même si complètement que l’on ne cherche plus.

Jiddu Krishnamurti (1895-1986) : Il fut un libre penseur, qui s’est promené dans le monde. Il est considéré comme l’un des grands penseurs et maîtres spirituels. Il ne proposait aucune philosophie ou religion. Il expliquait avec minutie les subtils mécanismes de l’esprit humain, et il insistait sur la nécessité d’introduire une qualité profondément méditative et spirituelle dans notre vie de tous les jours. Il n’appartenait à aucune organisation, aucune secte, à aucun pays, ne s’inscrivait dans aucun courant de pensée, politique ou idéologique. Il affirmait tout au contraire que ce sont là les véritables facteurs qui divisent des hommes et entraînent les conflits et les guerres. Citation : Ce que je vous demande, c’est d’ouvrir votre esprit, non de croire.

Jiddu Krishnamurti dans Se Libérer du Connu

Une pièce musicale de Xavier Rudd – Moments