Des grains de sables

Ils me disent dans leur éveil : « Toi et le monde dans lequel tu vis n’êtes qu’un grain de sable sur le rivage infini d’une mer infinie. »

Et dans mon rêve je leur réponds : « Je suis la mer infinie, et tous les mondes ne sont que des grains de sable sur mon rivage. »

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Si autrui rit de vous, vous pouvez avoir pitié de lui ; mais si vous riez de lui, vous ne pourrez jamais vous le pardonner.

Si autrui vous blesse, vous pouvez oublier la blessure ; mais si vous le blessez, vous vous en rappellerez toujours.

En vérité autrui, est votre propre moi le plus sensible, auquel on a donné un autre corps.

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Je connus une seconde naissance, quand mon âme et mon corps s’aimèrent et s’épousèrent.

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Entre l’érudit et le poète s’étend une prairie verdoyante.

Si l’érudit la franchit, il devient un sage.

Si le poète la franchit, il devient prophète.

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Il doit y avoir quelque chose d’étrangement sacré dans le sel. Puisqu’il est dans nos larmes et dans la mer.

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Le désir est la moitié de la vie.

L’indifférence est la moitié de la mort.

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Je préfère être le dernier des hommes avec des rêves et le désir de les réaliser, plutôt que le plus éminent sans rêve ni désir.

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Toute lutte dans la vie n’est que chaos qui aspire à l’ordre.

La solitude est une tempête de silence qui arrache toutes nos branches mortes.

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Je marche éternellement sur ces rivages,

Entre le sable et l’écume.

Le flux de la marée effacera l’empreinte de mes pas,

Et le vent emportera l’écume.

Mais la mer et le rivage demeureront

Éternellement.

Gibran Khalil Gibran (1883-1931) était un poète libanais d’expression arabe et anglaise et un peintre. Des poèmes et des méditations qui ont une grande résonance tant en Orient qu’en Occident. Dans ce livre, pour Marie Haskell, l’éternelle aimée, Khalil Gibran conserve tous les mots qu’il griffone sur des petits bouts de papier ou dans son carnet. En 322 aphorismes, il compose un recueil d’images et de pensées qui constituent la part la plus intime du poète, un autoportrait fragmentaire qu’il dédie à celle qui n’a pas voulu l’épouser. Ce petit livre n’est qu’une poignée de sable et une autre d’écume. Bien que dans ces grains de sable j’aie semé les grains de mon cœur et que sur son écume, j’aie versé la quintessence de mon âme, ce recueil est, et restera à jamais, plus près des rivages que de la mer, du désir limité que du désir accompli. » Khalil Gibran »

Khalil Gibran dans Le Sable et l’écume : Livre d’aphorismes

Une pièce musicale de Emotional Arabian Oud